Pierre-Yves Quiviger (dir. avec
Revue : Revue française d'histoire des idées politiques
N° : 39
Date de parution : 2014-1
ISSN : 1266-7862
L’ouvrage
Que l’art soit mis au service de la politique ou d’un projet politique, qu’il se veuille « engagé », « apologétique » ou « édifiant », qu’il dresse le portrait flatteur d’un monarque ou qu’il cherche à mobiliser des individus autour d’un projet révolutionnaire, cela est aussi ancien que banal. Il s’agit ici d’interroger autre chose, en associant les compétences de philosophes, de plasticiens, de musicologues, de théoriciens du cinéma et d’historiens de l’art : comment des œuvres d’art ont pu être, en elles-mêmes, « des idées politiques ». Comment une peinture, un film, une installation, une sculpture, une vidéo, une mise en scène d’opéra, peuvent-elles être autre chose qu’une simple médiation ou le vecteur d’un certain « message », d’un certain contenu politique ? Il va de soi que ce rôle de support, de transfert, de medium a existé, existe et existera. Reste que doit être tout autant reconnue et étudiée la capacité d’un geste artistique à être en tant que tel un « événement politique », et un événement relevant non seulement des réalités empiriques, concrètes, observables, mais aussi de l’histoire des idées. Étudier l’histoire des œuvres d’art, ou plus exactement l’histoire de certaines œuvres d’art (car ce serait avancer une thèse trop lourde – et incertaine – que de voir dans toute manifestation artistique une manifestation politique), devient dans cette perspective une manière nouvelle de conjuguer histoire de l’art, philosophie de l’art et science politique, mais c’est aussi une manière légitime d’étendre le champ de l’histoire des idées politiques, en considérant que cette discipline peut reconnaître comme siens des objets plus volontiers abandonnés au monopole des historiens de l’art.
Le choix méthodologique (et l’hypothèse scientifique) qui a présidé à la construction de ce dossier « Art et politique » de la Revue française d’histoire des idées politiques est donc qu’au titre des « idées politiques » dont on peut retracer l’histoire, sont éligibles certaines pratiques et productions qui trouvent légitimement leur place dans l’histoire de l’art. Certaines œuvres ont joué et joueront un rôle dans ce qu’on peut appeler la « vie politique », ont introduit des bouleversements ou au moins des inflexions ; elles ont contribué à l’émergence ou à la prise de conscience de conceptions qui ont modifié la vie collective et les institutions sociales. Une telle hypothèse est plus facile à valider dans le contexte contemporain (les articles publiés explorent les arts des xxe et xxie siècles) dans la mesure où, matériellement, la diffusion massive, et mondiale, des œuvres (expositions, cinéma, Internet), ainsi que la souplesse de leur reproduction, facilitent leur appropriation par les différents acteurs et penseurs du monde politique, mais il serait fructueux de mettre à l’épreuve de périodes plus anciennes cette hypothèse et d’ouvrir ainsi un champ disciplinaire autonome au sein de l’histoire des idées politiques. On l’aura compris, ce champ n’a que peu de rapports avec celui, désormais peu ou prou abandonné, qu’avait ouvert l’hypothèse marxiste des œuvres d’art comme « reflets » des rapports politiques, sociaux et économiques.