Le CRHI ouvre un appel à communications pour le colloque international "Enjeux philosophiques du droit coutumier" qui se tiendra du 14 au 16 mai 2018 à l'Université de Nice.
Ce colloque entend rassembler un large éventail de contributions, toutes centrées autour des questions proprement philosophiques que le droit coutumier pose. Loin de considérer l’expression de « droit coutumier » comme une évidence, il s’agira de relever et, autant que possible, de résoudre les tensions que crée la juxtaposition de deux formes de régulation du social aussi proches que lointaines : le droit et la coutume.
Ontologie du droit coutumier
L’expression même de droit coutumier nous impose, avant toute réflexion, la remarque préliminaire suivante : parler d’un droit coutumier implique immédiatement de distinguer un genre (le droit), d’une espèce (le droit dit coutumier). Le droit coutumier apparaît donc comme une forme spécifique du droit et partage en cela les traits génériques propre à l’ensemble des catégories du juridique.
Néanmoins, qualifier un droit de coutumier, ce n’est pas comme parler du droit des contrats, ou du droit pénal. Il ne s’agit pas de l’une des sous-espèces du droit, et il peut lui-même accéder au titre de genre. On remarquera aussi que l’expression de « droit coutumier » semble isoler une source particulière du droit parmi les quatre sources « traditionnelles », que sont la législation, la doctrine et la jurisprudence. En effet, il semblerait étrange de parler de « droit législatif », de « droit doctrinal » et même de « droit jurisprudentiel ».
Il s’agit alors d’interroger l’ambiguïté qui se cache derrière ce qualificatif de « coutumier » : a-t-il pour fonction de désigner une manifestation parmi d’autres du juridique, ou bien désigne-t-il une forme à part du juridique, qui possèderait ses propres caractéristiques et qui ne serait pas totalement réductible au droit ?
Principes du droit coutumier
La réponse à ces questions dépend très certainement d’une exploration aussi empirique que théorique du mode de fonctionnement spécifique au droit coutumier. Savoir s’il n’est qu’une forme parmi d’autres du juridique ou s’il s’en distingue suffisamment pour être son propre genre impose de déterminer les principes de ce droit coutumier. Si ce droit est dit coutumier, c’est évidemment parce que la coutume y occupe une place privilégiée en tant que source du droit. Comprendre la différence spécifique du droit coutumier, c’est donc s’efforcer de comprendre comment la place de la coutume conditionne la nature même de ce droit.
Il faudra donc s’interroger sur la façon dont la place centrale accordée à la coutume détermine l’existence d’institutions spécifiques et de critères à part entière de l’établissement de ce que sont les droits des individus. Comme les Commentaries de Blackstone l’explicitent, tout système de droit, dès l’instant qu’il comporte un élément coutumier, doit établir les principes spatio-temporels et logiques de la preuve de la coutume. La Common Law anglo-saxonne et ses principes spécifiques ne doivent cependant pas éclipser derrière eux toute tentative de saisir ce que peuvent être les principes et les spécificités du droit coutumier, et l’on restera particulièrement attentifs à la façon dont le droit coutumier prend sa place dans des contextes pluralistes, où plusieurs droits coutumiers peuvent se retrouver en concurrence. Dans ces conditions, l’interaction entre droit et coutume prend la forme d’un conflit normatif plutôt que celle d’un « droit coutumier » unifié.
Explorer les limites et le caractère fictionnel des procédures relatives à la coutume de la Common Law peut servir de point de départ pour redéployer les potentialités du droit coutumier, et en interroger les fondements. Notamment, il serait intéressant d’étudier les formes diverses que prend le droit coutumier à une époque où le modèle de la Common Law s’impose à différentes échelles et dans différents domaines, notamment dans le droit international, et où le droit coutumier se déploie dans des contextes de pluralisme juridique au sein de régions décolonisées. Les enjeux spécifiques rencontrés dans ces contextes ne peuvent que permettre d’interroger les limites et la plasticité du droit coutumier. Les changements d’échelles et de domaines touchent-ils à l’essence du droit coutumier, si tant est qu’il en ait une ? Révèlent-elles au contraire une certaine nature du droit coutumier, au-delà de ses incarnations spécifiques ? Il s’agira entre autres de saisir l’efficace spécifique du droit coutumier, et notamment de déterminer si le droit coutumier repose sur les mêmes formes de contraintes que le droit, et s’il dispose de modes d’institutions et d’application spécifiques. La question de la place de la sanction est par exemple essentielle.
Un droit sans coutume ?
Dans le prolongement de ces réflexions, il est nécessaire de noter que dans tout droit dit coutumier, la coutume est réduite à n’être qu’une source du droit, et en tant que telle se voit privée d’être une forme de normativité indépendante. N’est coutume que la coutume reconnue comme telle, selon les processus requis et au nom des institutions et des critères que le droit définit. Dans ce cas, la coutume n’est qu’une des sources possibles du droit, en concurrence avec d’autres, et cette dernière n’a d’existence juridique que secondaire.
C’est la raison pour laquelle John Austin a pu si facilement disqualifier l’autonomie de la coutume, argumentant avec Hobbes contre l’école historique que la nature même du droit empêche la coutume d’avoir un efficace propre en dehors de la reconnaissance directe ou indirecte, explicite ou tacite, du souverain. L’une des ambitions principales de ce colloque serait justement d’évaluer la justesse de l’affirmation austinienne, ce qui pourrait permettre de fournir une réponse à la question de la priorité du substantif ou du qualificatif dans l’expression « droit coutumier ». En sous-bassement se trouve la question même de l’autonomie de la coutume comme forme de régulation sociale.
Les enjeux de la codification
Pour ce faire, nous pourrions être amenés à considérer ce qui disparaît et ce qui reste de la coutume dans le droit coutumier, afin de comprendre réellement la nature de ce dernier. Cela ne peut que nous conduire à nous interroger sur le thème spécifique de la codification de la coutume, acte fondateur du droit coutumier. Cette codification n’est jamais, de fait, un acte neutre, et il serait des plus pertinent de mettre en lumière, sous les angles les plus divers possibles, toutes les tensions qui entourent cette codification, cristallisant des équilibres de pouvoir ou des luttes socio-économiques. Un axe d’étude intéressant, déjà beaucoup évoqué en sciences sociales mais rarement en philosophie, serait celui des interactions entre le droit formel et coutume dans les pays décolonisés.
La codification du droit est d’ailleurs l’un de ces moments où savoirs et pouvoirs se rencontrent avec le plus d’intensité. L’école historique du droit a affirmé avec force la nécessité d’entourer l’étude du droit de celle des humanités, que l’on peut élargir aujourd’hui à l’ensemble des sciences humaines et sociales, de l’anthropologie à l’économie, en passant par la sociologie. On s’interrogera donc sur la place que ces disciplines peuvent occuper dans la codification et l’établissement de la coutume, sur la légitimité et sur les méthodes de leur approche.
Ouvertures artistiques
Les autres domaines du savoir et de la création ne sauraient être expulsés de la réflexion que nous souhaitons mettre en place. On pourra se demander notamment si la littérature et les autres arts sont en mesure de produire des discours réflexifs sur la nature du droit coutumier, à l’image de l’ouvrage d’Ismaël Kadaré, Avril Brisé. Une perspective artistique peut en effet dégager d’autres enjeux propres au droit coutumier et aux sociétés qu’il régule. Parmi ces enjeux, ont trouve en particulier la question de l’articulation entre « tradition » et « modernité », et de la place qu’y trouve l’individu. La façon dont le droit coutumier des peuples se confronte à l’évolution des sociétés mondialisées est naturellement un thème commun à de nombreux artistes et auteurs, que leur regard soit nostalgique, esthétisant, ou critique.
Aspects empiriques : droits coutumiers et sciences humaines et sociales
Enfin, la question se pose évidemment de la place à donner à l’étude d’exemples spécifiques. Il est évident qu’ils devront être centraux dans l’étude de l’objet que constitue le droit coutumier, mais qu’aucune réflexion ne peut cependant se limiter à proposer des monographies de droits coutumiers différents. Il sera particulièrement intéressant d’adopter une démarche comparatiste, rapprochant notamment la façon dont certaines catégories du droit coutumier, comme par exemple le droit de propriété, cristallisent tous les questionnements évoqués ci-dessus, et comment différentes catégories de droit permettent de les reformuler.
Tout exemple se doit d’être l’occasion d’une réflexion sur les thématiques évoquées ci-dessus, sans exclure d’autres thématiques. De plus, il n’est pas du tout requis de ne s’intéresser qu’aux enjeux contemporains du droit coutumier ou, au contraire, à ne développer que des points de vue historiques. L’actualité du droit coutumier est indubitable, de même que l’histoire de son évolution est essentielle à la compréhension des enjeux contemporains qu’il soulève. Les nombreuses interrogations soulevées par ce colloque permettront alors de restituer la profondeur historique du droit coutumier, sans oublier d’explorer la façon dont les sciences humaines et sociales dans toute leur diversité abordent le droit coutumier.
La liste suivante de questions, non-exhaustive, permet de lancer les pistes auxquelles les contributions devront s’efforcer de répondre :
L’expression de « droit coutumier » désigne-t-elle un mode de régulation sociale spécifique, entre le juridique et le coutumier ?
La coutume est-elle une source à part du droit ? La coutume peut-elle être considérée comme un en-deçà ou un au-delà du droit ?
Y-a-il une « forme » spécifique du droit coutumier malgré la diversité de ses manifestations ? Y a-t-il un modèle du droit coutumier, comme pourrait l’être le droit international ?
Quelles transformations la coutume subit-elle quand elle intègre le « droit coutumier » ?
Quels enjeux philosophiques la codification de la coutume dans le droit coutumier soulève-t-elle ? Quels sont les enjeux de l’existence du droit coutumier dans des cadres pluralistes/décolonisés ?
Quels sont les rapports du droit coutumier avec des standards à la fois moraux et juridiques comme le sont les droits de l’homme par exemple ?
Quelle est la place du droit coutumier au sein de la dynamique du changement social ?
Quelle place pour le thème de l’articulation entre droit et coutume dans les arts ? Y a-t-il un point de vue proprement artistique sur la question de la coutume ? Consiste-t-il à représenter, magnifier, ou critiquer la coutume ?
Quelles interactions et quels enjeux de pouvoir y a-t-il entre les sciences humaines et sociales et le droit autour de la question de la coutume ?
Quels liens le droit coutumier entretient-il avec les localités, leurs territoires, leurs histoires et leurs organisations sociales ?
Comment les différentes disciplines des sciences humaines et sociales permettent-elle de rendre compte de ces dynamiques, et de leur conflit avec le formalisme du droit ?
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Réception des propositions : 15 novembre
Notification de décision du comité : 15 décembre
Liste finale des participants : février 2018
Transmission des articles : 15 avril
Soumission des propositions
Les propositions anonymisées sont à envoyer (sous format pdf) en copie simultanée à Marc Goetzmann et Edoardo Frezet (contacts ci-dessus).
Elles seront comprises entre 300 et 750 mots, et accompagnées d’une fiche de présentation incluant au minimum :
-nom et prénom de l’auteur.e
-titre de la proposition
-affiliation de l’auteur.e (département, université, laboratoire etc.)
-position occupée par l’auteur.e et possibilités de financement (voir ci-dessous)
Toutes ces informations sont essentielles pour garantir la diversité des intervenant.e.s, mais aussi pour déterminer de la façon la plus équitable la répartition de nos fonds.
L’hébergement (2 nuitées a priori) sera pris en charge.
Le transport ne sera pas systématiquement pris en charge, notamment si l’intervenant.e peut bénéficier de fonds propres de la part de son institution.
C’est pourquoi il est nécessaire de nous indiquer dans votre fiche de présentation si votre institution est en mesure de couvrir tout ou partie de vos frais de déplacement et autres pour le colloque, afin de conserver le maximum de fonds possibles pour élargir le cercle des intervenant.e.s, notamment pour les plus jeunes chercheurs, pour lesquels nous nous efforcerons de fournir une prise en charge plus large.
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