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18-20 novembre 2021 - La connaissance incertaine et ses vertus

Catégorie
Journées d'étude et colloques du CRHI
Date
samedi 20 novembre 2021 00:00

18-20 novembre 2021 - La connaissance incertaine et ses vertus

Les jeudi 18, vendredi 19 et samedi 20 novembre 2021, le CRHI organise avec le soutien financier de l'EUR CREATES, la MSHS Sud-Est (axe 5) et le CEPAM, un colloque intitulé « La connaissance incertaine et ses vertus ». L'évènement aura lieu à la Maison des Sciences de l'Homme et de la Société Sud-Est.


Colloque
"LA CONNAISSANCE INCERTAINE ET SES VERTUS"


Du 18 au 20 novembre 2021
au campus Carlone, Nice

 

ARGUMENTAIRE :

La question du rapport entre connaissance et incertitude peut être posée de deux manières.

1/ Il est d’abord possible de s’intéresser à la connaissance que l’on peut avoir de phénomènes qui présentent en eux-mêmes une forme d’incertitude. Ainsi l’économie étudie-t-elle la notion de risque : risques liés aux comportements des agents économiques, aux évolutions du marché, ou même à la possibilité de catastrophes environnementales, sanitaires, etc. De même, la physique pourra s’intéresser à des phénomènes qui sembleront intrinsèquement aléatoires (comme les phénomènes quantiques). Dans ces deux exemples, c’est l’objet de la connaissance qui est lui-même « incertain », et non la connaissance que l’on en prend. Du reste, la connaissance de l’incertain peut être elle-même extrêmement rigoureuse et solide, et en ce sens certaine.


2/ La connaissance incertaine, en revanche, désigne une connaissance qui porte en elle la possibilité d’erreurs, d’imprécisions, dont les affirmations ne sont pas forcément définitives, qui ne se limite pas aux propositions certaines mais travaille avec des hypothèses ou sur la base d’énoncés seulement plausibles. Alors que, dans le premier cas, l’incertitude caractérisait ce qu’il y avait à connaître, elle caractérise ici la connaissance elle-même.

 

Or, c’est précisément cette « connaissance incertaine » que nous souhaiterions ici interroger, sans présumer des liens, internes ou externes, qu’elle est susceptible d’entretenir avec des « objets » eux-mêmes incertains.  Traditionnellement en effet, la connaissance se trouve conçue comme infaillible, productrice de vérités, et ce faisant marquée par la certitude. Dans les Règles pour la Direction de l’Esprit [1], Descartes affirme ainsi, et de façon parfaitement univoque, que la certitude est une détermination essentielle de la connaissance : la connaissance est certaine, ou n’est pas. Cette thèse, affirmée dans la deuxième règle, commande l’ensemble de l’ouvrage : les résultats douteux, les énoncés seulement probables, les raisonnements plausibles, même si le doute est peu important, même si la probabilité est très haute, ou le raisonnement très convaincant, ne peuvent pas prétendre appartenir au domaine scientifique et de tels raisonnements doivent être écartés purement et simplement.

 

Pour Descartes, la certitude ne définit pas seulement la connaissance scientifique : il fait aussi jouer à la certitude un rôle majeur dans le domaine de la métaphysique. Ainsi, dans les Méditations Métaphysiques [2], il commence par considérer comme faux et par écarter toutes les propositions qui comportent quelque doute, érigeant ainsi la certitude absolue en critère de la vérité. Le doute hyperbolique de Descartes emporte ainsi toutes les propositions que l’ego ne peut saisir avec une entière et parfaite certitude.

En un sens, la position cartésienne peut apparaître comme un prolongement assez naturel de la conception traditionnelle de la connaissance. Selon cette conception, la connaissance s’oppose fondamentalement à l’opinion. Cette dernière est changeante, douteuse, et si elle est vraie, c’est plutôt par chance que pour de solides raisons. Au contraire, la connaissance suppose non seulement la vérité mais aussi la capacité de donner les raisons qui font tenir une proposition pour vraie. Celui qui sait, sait pourquoi il sait, et s’avère donc sûr de son savoir. Si on oppose la connaissance à l’opinion, la certitude n’est-elle pas forcément une caractéristique essentielle de la connaissance.

 

Le colloque intitulé « La connaissance incertaine et ses vertus » propose de prendre le contre-pied de la conception traditionnelle de la connaissance. Il s’agira d’abord d’explorer l’hypothèse que la connaissance peut être incertaine, sans changer de nature et déchoir de son statut de connaissance (en devenant simple opinion). Du côté de la science moderne, on trouve ainsi au XVIIe siècle chez les savants de la Royal Society, l’affirmation que la science est affaire d’hypothèses plus ou moins probables. Certes, les expériences permettent de les contrôler et parfois de les rendre très probables, mais on ne peut pas savoir si telle ou telle hypothèse ne sera pas démentie un jour par une nouvelle expérience. Pour Boyle, Hooke et les membres de la Royal Society, les démonstrations mathématiques productrices de certitude sont non seulement assez rares, mais surtout dépendantes de principes physiques ou d’hypothèses, ce qui rend seulement probables leurs conclusions. Selon les auteurs de la Royal Society, le type de connaissance qui prévaut en science peut ainsi être considéré comme intermédiaire : ce n’est ni la connaissance parfaitement certaine, telle qu’on la trouve en mathématique, ni la simple opinion. A la même époque, une réflexion sur les degrés de certitude était à l’œuvre dans le domaine juridique, où la notion de « doute raisonnable » jouait un rôle central. Pour pouvoir juger une affaire, il n’est pas nécessaire d’avoir des démonstrations et des preuves absolument infaillibles. On peut se contenter d’atteindre un niveau de certitude qui dépasse les doutes raisonnables, sans atteindre le plus haut niveau. Un faisceau de preuves, des témoignages crédibles, ne sont pas des preuves infaillibles mais ils peuvent conférer une certitude suffisante (ou une incertitude acceptable).

Comme les éléments précédents le montrent, soutenir la thèse selon laquelle une connaissance (scientifique, juridique) peut être incertaine n’implique pas d’adopter une forme de scepticisme, en tout cas pas une forme très affirmée. La connaissance incertaine, si elle existe, est bien une connaissance et en affirmant que la connaissance peut être incertaine, il ne s’agit pas du tout de nier qu’il soit possible de connaître. La thèse sceptique la plus proche est celle que Richard Popkin, dans son Histoire du Scepticisme, de la fin du Moyen-Âge à l’aube du XIXe siècle [3], appelle « le scepticisme modéré » ou « constructif »

 

Le premier questionnement du workshop portera ainsi sur la possibilité de penser une connaissance qui soit incertaine, sur les présupposés théoriques d’une telle notion ainsi que sur ses enjeux, mais aussi sur ses difficultés, voire ses limites.

Au-delà de la possibilité de définir une connaissance qui soit incertaine, il s’agira également de réfléchir aux vertus de cette connaissance, en la comparant à la connaissance classique, prise dans les limites de la certitude. A l’opposé de la thèse cartésienne, Karl Popper a ainsi soutenu dans La Logique de la découverte scientifique [4] que l’exigence de certitude était un frein considérable au progrès scientifique. Les théories scientifiques, disait Popper, sont d’audacieuses conjonctures, et non pas du tout une synthèse d’affirmations certaines :

 

« Le vieil idéal scientifique de l’épistémê, l’idéal d’une connaissance absolument certaine et démontrable s’est révélé être une idole. […] Avec l’idole de la certitude […] tombe l’une des défenses de l’obscurantisme, lequel met un obstacle sur la voie du progrès scientifique. Car l’hommage rendu à cette idole non seulement réprime l’audace de nos questions, mais en outre compromet la rigueur et l’honnêteté de nos tests. La conception erronée de la science se révèle dans la soif d’exactitude. Car ce qui fait l’homme de science, ce n’est pas la possession de connaissances, d’irréfutables vérités, mais la quête obstinée et audacieusement critique de la vérité. »

 

Conformément à la perspective adoptée ici par Popper, le workshop visera à explorer l’hypothèse selon laquelle l’incertitude de la connaissance n’est pas un défaut dont il faudrait s’accommoder, mais une caractéristique positive, qui ouvre des perspectives constructives. On pourra ainsi se demander si la connaissance incertaine, précisément parce qu’elle est libérée de certains réquisits méthodologiques trop lourds liés à l’exigence de certitude, n’est pas en mesure de se frayer des chemins inattendus. De manière plus générale, le deuxième questionnement du workshop portera sur la possibilité que la connaissance incertaine puisse se montrer parfois plus pénétrante dans ses visées, plus audacieuse, ou plus innovante, que la connaissance certaine. L’ensemble de ces questions sera abordé de manière pluridisciplinaire par des chercheurs en philosophie, en épistémologie, en histoire, en archéologie, en économie, en géographie, en psychanalyse.


[1] Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, trad. fr. J. Sirvin, Paris, Vrin, 1996.

[2] Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Flammarion, 2009.

[3] Richard Popkin, Histoire du Scepticisme, de la fin du Moyen-Âge à l'aube du XIXe siècle, trad. fr. B. Gaultier, Paris, Agone, coll. "Banc d'essais", 2019.

[4] Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, trad. fr. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Paris, Payot, coll. "Bibliothèque scientifique Payot", 1973, p. 282.

 

COMITÉ D'ORGANISATION :

Frédérique BERTONCELLO (CNRS, Université Côte d’Azur, CEPAM)
Grégori JEAN (Université Côte d’Azur, CRHI)
Sébastien POINAT (Université Côte d'Azur, CRHI)

 

COMITÉ SCIENTIFIQUE :

Frédérique BERTONCELLO (CNRS, Université Côte d’Azur, CEPAM)
Muriel DALPONT (Université Côte d’Azur, GREDEG)
Grégori JEAN (Université Côte d’Azur, CRHI)
Frédéric PATRAS (Université Côte d’Azur, LJAD)
Sébastien POINAT (Université Côte d'Azur, CRHI)

 

Ce colloque est financé par le CRHI, l'EUR CREATES, la MSHS Sud-Est (axe 5) et le CEPAM.

 
 

Toutes les Dates

  • Du jeudi 18 novembre 2021 00:00 au samedi 20 novembre 2021 00:00
    jeudi, vendredi & samedi
 

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